La croissance du cheval

L’étude du Dr Bennett concernant l’agenda d’ossification des cartilages de croissance circule beaucoup sur les réseaux sociaux, de sites internet, forums etc. mais une piqûre de rappel ne fait jamais de mal. Si les cavaliers pouvaient s’en imprégner, cela n’en serait que mieux pour leurs fidèles destriers. Pour les anglophones, l’étude originale est disponible en cliquant ici, pour les autres, j’ai résumé les principales étapes de la croissance dans le tableau ci-dessous

Structure Fin de période d'ossification
Troisième phalange du pied (P3) Naissance
Deuxième phalange du pied (P2) 6 mois
Première phalange du pied (P1) 6 - 12 mois
Canon 8 - 18 mois
Rotule 1,5 an - 2,5 ans
Radius / Ulna (coude) 2 ans - 2.5 ans
Encolure, Glénoïde 2.5 ans - 3 ans
Tibia, Humérus, Fémur 3 ans - 3,5 ans
Bassin 3 ans - 4 ans
Omoplate 3,5 ans - 4 ans
Jarret 4 ans
Colonne vertébrale 5.5 ans - 8 ans
Crâne 5 ans - 7 ans

Ainsi, on peut constater que la maturation du squelette (lorsque les cartilages de croissance sont complètement ossifiés), à quelques exceptions près, se fait de bas en haut chez le cheval. Les derniers os à terminer leur croissance sont les vertèbres et le crâne (os frontal) : un grand cheval aura donc une fin de croissance plus tardive qu’un petit cheval. Comme pour l’espèce humaine, les mâles ont une croissance plus tardive que les femelles. Ainsi, on peut rajouter jusqu'à six mois supplémentaires d'ossification des structures pour un mâle. 

 

Un squelette immature est un squelette fragile. Pourtant, il serait aussi aberrant que contre productif d’interdire à un enfant de faire une activité sportive sous prétexte que sa croissance n’est pas finie. Bien au contraire, modérée et soustraie aux impératifs de productivité,  elle ne peut être que bénéfique.  Cela en est de même pour nos chevaux. L’exercice physique accroit la résistance osseuse, tendineuse et ligamentaire, favorise la souplesse articulaire et maintien le corps en bonne santé (« la vie, c’est le mouvement » disait Still, le fondateur de l’ostéopathie).

Le maître mot reste donc la modération.

Du point de vue équin, laisser son cheval au pré jusqu’à la fin de sa croissance n’est pas un problème en soit, du moment qu’il soit ensuite bien préparé physiquement au travail et qu’il jouisse tout ce temps d’un environnement adapté (liberté de mouvement, terrain varié, alimentation). Seulement, ces conditions semblent un peu utopiques dans un monde où on veut le beurre et l’argent du beurre. Laisser un cheval grandir dans son pré, c’est à la fois une perte de temps, d’argent, et de réputation sociale (il faut accepter de passer pour une espèce de gourou-hippie des temps modernes). En effet, quand un propriétaire décide de débourrer son équidé après quatre ans, il prend le risque de se faire harceler par les acteurs du monde équestre pressés de le voir avec une selle et un cavalier sur le dos. Bien sûr, un cheval non débourré n’est pas un cheval rentable d’un point de vue financier.

 

On débourre les chevaux tôt par facilité, lorsqu’ils ont le moins de force pour se soustraire aux ordres du cavalier. On profite donc à proprement dit d’une faiblesse physique. Or, la préparation physique (musculaire, articulaire, tendineuse) doit être la priorité quelque soit le travail du cheval. Et un cheval en bonne condition, apte au débourrage, devrait avoir la force nécessaire pour supporter le poids du cavalier sans contrainte, quelque soit la situation. La préparation musculaire à pied est souvent négligée au profit de celle réalisée une fois le cavalier en selle.

 

On voit parfois des cavaliers débourrer leurs chevaux autour de leurs 2 ans, prétextant un travail modéré sur quelques jours suivi d’une année de repos. Là, c’est son intérêt qui est douteux. Un cheval correctement manipulé tout au long de sa croissance ne sera pas plus difficile à travailler au moment opportun que celui qui a  aura été monté puis remis au pré. On fait sauter les chevaux de plus en plus tôt, alors qu’une grande partie de la force employée pour la propulsion est transmise par les jarrets, dont la croissance n’est achevée que vers 4 ans. Sans parler de la colonne vertébrale qui reçoit toutes les contraintes mécaniques (transmission de l’énergie entre l’arrière main et l’avant-main, amortissement, cavalier et matériel plus ou moins adapté compris). Alors que dire des chevaux de moins de 6 ans qui enchaînent des grosses épreuves, devant sauter, tourner, galoper sans ménagement ?

 

 Que dire des chevaux Américains que l’on prétend précoces ? Bien que certains spécimens puissent avoir l’apparence d’adultes, ils n’ont pas un gène de croissance dopé à la kryptonite. Ils possèdent exactement la même vitesse de maturation que les autres races. Plus sérieusement, adapter son travail à l’âge de son cheval est à la portée de tout le monde pour peu que l’on en ait la volonté. Les jarrets sont sollicités à leur maximum lors des cercles, sauts, changements de direction et arrêts brutaux, cabrés, figures de dressages trop rassemblées. La liste n’est pas exhaustive, mais ce sont les principaux exercices à éviter en dessous de 4 ans. En somme tout exercice contraignant pour un squelette en croissance (activité importante, exercices répétés, mouvements forcés) est à éviter.

 

Connaître la maturation du squelette permet de préparer au mieux sa monture et de surveiller certains signes d’inconfort ou de douleurs qui peuvent être manifestés par le jeune cheval (lors de la pousse du garrot notamment). La base de l’encolure étant la dernière à s’ossifier, on prendra en compte cet élément dans le travail de l’encolure qui ne devrait être jamais forcée avant ossification complète.

 

Pour beaucoup, on ne verra pas les impacts négatifs d’un débourrage précoce. Et puis vient un jour où on se retrouve avec des chevaux encore jeunes arthrosés, avec des fractures de fatigue, de l’ostéochondrose… Et on incrimine la faute à « pas de chance ».

Et si ce "pas de chance" était le mépris de la croissance, supporté par tout un système ?

Au final, la grande partie de ce problème de respect de la physiologie du cheval ne vient pas des professionnels, mais de certains clients voulant tout, tout de suite. L’offre s’adapte à la demande, et à chercher la performance on en vient à oublier l’essentiel : la santé de l’animal. Le concept du cheval kleenex à encore de belles années devant lui s’il n’y a pas une prise de conscience majeure  et une revue à la baisse des exigences des cavaliers envers leurs montures.

 

 

Dans tous les cas, ce sujet polémique aura au moins l’avantage de nourrir les ostéopathes pendant encore un certains temps…